Je gagne ma vie comme illustratrice. Mon métier est de créer des images qui répondent à la demande d'un client. Les années passent et je me demande souvent si je ne devrais pas prendre un agent pour me représenter. En observant le rôle nouveau que la Vierge Marie s'est vu donné par l'église catholique à la fin du Moyen Âge, j'ai vu certaines similarités avec la relation artiste-agent à laquelle je réfléchis. Ces relations m'ont fait sourire parce qu'elles me mènent à occuper la même place que le Christ au sein de la comparaison.
![]() |
La Madone Rucellai, par Duccio 1285 |
À partir du 11-12e siècle, l'église commence à donner une nouvelle place à la Vierge Marie. Je comparerais son rôle tout à coup beaucoup plus actif au rôle qu'à un agent dans la vie professionnelle d'un artiste, dans mon cas, d'une illustratrice. Même si la requête d'un fidèle s'adresse au Christ, tout à coup on se met à passer par la Sainte Vierge pour s'adresser à lui. Le rôle d'intermédiaire active qu'a Marie est donc comparable au rôle de mon (éventuel) agent. La demande d'un client s'adresse toujours à moi, l'illustratrice, par le biais de ce médiateur qui assume les négociations et filtre les échanges entre le client et moi. C'est donc en souriant que je me vois ici occuper le même rôle que Jésus, voire même que Dieu, soit celui de la mise en oeuvre d'une demande ou de la création!
Une autre relation qui s'illustre ici est celle de la présentation/représentation. Si la Vierge à l'enfant, dans ses représentations picturales, présente son fils à l'observateur comme l'objet de sa dévotion et même de sa raison d'être, l'agent à aussi le rôle de représenter aux clients potentiels un artiste dont il est le promoteur et sans qui son métier n'aurait de raison d'être. L'un comme l'autre à ici le rôle de faire briller la valeur de celui/celle qu'il présente/représente.
Le fait que la structure politique médiévale construite autour de la royauté ait prêtée l'image du trône, de la couronne ou de d'autres attributs royaux à la Vierge Marie et au Christ dans plusieurs représentations de ceux-ci, montre comment on a utilisé des concepts connus de l'époque pour illustrer l'ultime statut prestigieux de ces personnages. Pour faire écho à cette transposition, on pourrait soulever la conception de l'agent comme un promoteur purement mercantile, qui s'est mutée avec les années en un représentant des droits de l'artiste, qui soulage ce dernier du poids du démarchage et des négociations. En tant qu'artiste, voir l'agent sous cet angle permet de s'en faire une image plus sympathique, avec laquelle on a plus d'affinité qu'avec celle de l'escroqueur gourmand qu'est parfois encore l'agent.
Bien qu'il soit drôlement réducteur de comparer la Vierge Marie à un agent de liaison, qui plus est commercial, cela m'amuse et me réconforte d'imaginer ce roi de la business devenir pour moi l'homologue de la Queen of heaven pour d'autres.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire